Suzette Feuillemorte - Professeur de Botanique

Si Suzette avait pour arrière-grand-mère une créature dont l’apparence était plus proche d’un olivier que d’un être humain, les générations ont fait qu’elle ne garde presque plus de traces de cette ascendance. Presque, car la jeune femme s’est souvent réveillée avec quelques feuilles ovales et allongées dans les cheveux. De même, ses ongles sont faits d’une écorce brune, ce qui lui déplait fortement et qu’elle s’applique à cacher sous une manucure toujours impeccable. Très coquette, elle passe presque autant de temps dans sa salle de bain qu’avec ses plantes ou ses élèves. Enfant de la campagne, elle a toujours été fascinée par les Dames qu’elle voyait dans les villes voisines de son petit village de sorciers, telles que Nice ou Monte-Carlo. Aussi elle s’habille toujours de manière sophistiquée, le plus souvent avec des vêtements dénichés avec un certain talent dans les marchés aux puces, ce dont elle ne se vante pas.

Brune comme toute méditerranéenne qui se respecte, elle a en revanche une peau très pâle qui supporte mal le soleil du sud de la France. Son corps très mince aurait pu être tout à fait androgyne si une taille marquée et une poitrine généreuse ne s’étaient pas miraculeusement dessinées à la moitié de sa scolarité à Beauxbâtons. Elle n’est pas la plus séduisante ni la plus belle des femmes, elle se sait à côté des canons de beauté contemporains, ce dont elle tire à la fois de la fierté mais aussi quelques complexes, notamment lorsqu’elle était adolescente. Ce que Suzette préfère chez elle, ce sont ses yeux, immenses et bleus, terriblement expressifs, et qui trahissent le moindre de ses états d’âme.

De sa région natale, elle a gardé un léger accent qu’elle a souvent essayé de faire disparaître, en effet les grandes dames s’expriment rarement à la manière des joueurs de pétanque. Elle fantasme le luxe dans lequel ces femmes vivent, et pour elle, le luxe absolu, c’est le parfum. Suzette en possède une collection impressionnante, tous fabriqués par ses soins avec les plantes qu’elle cultive. Aussi son sillage est toujours marqué de notes fleuries presque orientales, et il n’est pas difficile de la suivre à la trace dans les couloirs de l’Académie de Magie.

Suzette est une femme pleine de vie, avec un caractère bien trempé. D’une grande générosité, elle n’hésite pas à donner de son temps pour les autres, et surtout pour ses élèves, qu’elle adore. Mais qui aime bien châtie bien, et c’est souvent son tempérament volcanique qui prend le dessus. Aussi ses éclats de voix sont souvent perceptibles de loin lorsqu’un élève a le malheur d’abimer une plante, ou de briser une branche par mégarde. Car s’il est difficile de deviner son lien de parenté avec une Dryade, la professeur de botanique n’en a pas moins gardé cet amour absolu des plantes et de la nature en général. Ses réactions lorsqu’un accident se produit dans les serres de l’Académie semblent donc disproportionnées, surtout que la tristesse est rapidement remplacée par une colère extrême, dont pâtissent ses élèves les moins sérieux.

Ses plantes, elle les soigne, tout comme sa maison et son logement à Beauxbâtons. Un brin maniaque, elle ne supporte pas le laisser aller, et encore moins la saleté. Cette manière de tenir son foyer à la manière d’un Grand hôtel  a cependant eu de fâcheuses conséquences, notamment dans sa vie amoureuse. Suzette n’a jamais été une croqueuse d’hommes, et le peu de sorciers avec lesquels elle a vécu on eut tôt fait de ne plus supporter ce qu’ils appelaient ses « crises d’hystérie ». Célibataire endurcie, elle trompe l’ennui de sa vie de vieille fille entre son emploi à l’académie et les évènements mondains dans lesquels elle aime se faufiler de temps à autre. Loin d’être un monstre d’ambition, elle n’a qu’un rêve : se marier, avoir des enfants, et vivre une vie faite de plaisirs simples.

Mais les années passent et Suzette vieillit, ses élèves sont devenu les enfants qu’elle commence à penser qu’elle n’aura jamais. Le futur s’annonce d’autant plus sombre que le Monde Magique français se divise sur la question des hybrides, d’elle aussi donc. Si elle a fort caractère, elle est en revanche loin d’être un exemple en matière de courage. Cette remise en question du statut des hybrides venant ajouter au sentiment de solitude qui la ronge, c’est d’une façon naïve et égoïste qu’elle évite le problème en se retranchant dans ses habitudes et son métier, ignorant presque le conflit qui oppose les Rebelles à la Chancellerie.

C’est dans un village caché dans les collines qui bordent la côte d’Azur que né Suzette, en plein mois de novembre. C’était un hameau de sorciers, dont les petites maisons ne dépassaient guère la cime des pins qui couvraient tout jusqu’à la mer. Bien qu’entouré de villes moldues où la richesse s’étalait à foison, les sorciers de ce village étaient pour la plupart des gens très modestes. Estefan Feuillemorte, lui, profitait des revenus un peu plus confortables que lui apportait le vin de ses vignes magiques, qui contrairement aux cépages moldus, poussaient en pleine forêt, à l’ombre des pins. Comme un borgne parmi les aveugles, ce statut privilégié par rapport aux autres habitants lui avait valu un implicite statut de chef, faute d’avoir une mairie à occuper. Loin de tirer la moindre prétention du respect que lui accordaient ses voisins, c’était avec une fille du village qu’il s’était marié, et qui avait vite donné naissance à une petite fille. Suzette ne fût pas une enfant commode, car elle avait hérité du fort caractère de son paternel. Petite, elle passait tout son temps dans les vignes, et sa vie était rythmée par les nombreux « pèlerinages » annuels qui amenaient toute la petite famille à se rendre à l’intérieur des terres, pour rendre visite à son arrière-grand-mère. Cela aurait pu être tout à fait banal si la vieille dame en question n’habitait pas un olivier centenaire dont les racines noueuses allaient jusqu’à un petit cour d’eau qui s’était frayé un chemin à travers la terre sèche et rocheuse. La grand-mère de son père était une créature à mi-chemin entre la femme et l’arbre. Aussi à la place d’une chevelure pouvait-on voir des branches de bois clair qui s’entortillaient, et dont les fines extrémités étaient garnies de feuilles semblables à celles que l’on pouvait voir sur l’arbre qu’elle occupait. De même, sa peau d’une couleur gris-brune était en grande partie couverte d’une fine écorce d’une teinte un peu plus soutenue. Loin de faire son âge, la dryade était particulièrement attachée à son arrière-petite-fille, car sa descendance n’était constituée jusqu’alors que de garçons. La petite sorcière et la nymphe avaient ainsi passé des après-midi entiers à parler, assises sur les racines de l’olivier, la vieille créature transmettant à la petite sorcière tout ce qu’elle savait sur la nature. Hélas cela ne dura pas, car pendant l’été qui précéda l’entrée de Suzette à l’Académie de Beauxbâtons, un soir où un violent orage balayait la région, l’arbre fût foudroyé, et la Dryade mourut en même temps que l’olivier.

C’est sans hésitation de la part des statues qu’elle fût envoyée chez les Chevreuse. Elève timide et discrète dans la plupart des cours, elle se fît vite remarquer en botanique, autant pour ses connaissances que pour son impertinence mais surtout pour ses crises de colère. Si elle excellait dans cette matière, notamment grâce à son ascendance, ses résultats dans les autres cours étaient moyens, car la jeune sorcière avait une fâcheuse tendance à délaisser les domaines qui ne l’intéressaient pas. Son fort tempérament et son côté maniaque n’en firent pas une figure populaire de l’académie, aussi c’est avec le même petit groupe d’amis qu’elle passa les sept années. C’est à cette même période qu’elle commença à complexer sur ses ongles d’écorce, qui contrarient sa coquetterie. Malgré toutes les activités proposées par l’école, elle ne participa que très peu à la vie de l’Académie. Bien que pendant un temps, elle ait aidé avec quelques-uns de ses camarades à entretenir les jardins de Beauxbâtons, elle se trouva en désaccord avec le Veneur, qui ne partagea pas son envie de faire évoluer les jardins selon sa vision personnelle. Suite à cela, elle quitta l’activité et ne s’occupa plus ni des serres ni des jardins, et ce jusqu’à la fin de sa scolarité. Hormis les devoirs, elle se trouva donc à ne rien faire pendant son temps libre, car ses amis ne l’avait pas suivie dans sa « révolte esthétique » contre le Veneur. Pour s’occuper, elle se plongea dans les livres de l’immense bibliothèque de l’école, principalement les ouvrages traitants de botaniques, mais elle y dévora aussi les grandes œuvres littéraires d’Europe, dont elle s’imprégna du romantisme aristocratique. En parcourant les pages, elle découvrait le monde que sa nature casanière et peureuse lui permettait seulement de se rêver à parcourir. La Russie, le Proche Orient, l’Asie, dont elle eût tôt fait de se lancer dans des recherches approfondies sur les essences de plantes propres à ses contrées qui lui semblaient si lointaines. Suzette n’avait qu’une hâte : se voir remettre son diplôme, et partir voir de ses propres yeux ce qu’elle avait imaginé.
(suite à venir °3° )